L’hibernation, le sommeil, le repos,
ont en commun l’idée de régénération
physique et psychique avec
le songe, l’état pensif ou la prière. Ils expriment aussi
un
temps silencieux pendant lequel en apparence, tout est suspendu.
Le
projet Ex Somniis Sudaria interroge cette thématique.
Rêve,
rêverie, songe, état pensif, ennui, oisiveté, flânerie, repos,
mélancolie.
En ces temps étranges, nous avons été plongés dans
un état de ralenti. Souvent
dénigrés, empêchés et rares, ces
états de l’esprit et du corps sont pourtant les
déclencheurs de
pensées et d’introspection. Temps suspendus de
l’entre-deux,
parfois légers, ils offrent l’évasion vers un
ailleurs, parfois profonds et
vertigineux, ils sont la porte d’entrée
sur le souvenir que nous sommes
éphémères. Je me suis interrogée
sur ces états de l’esprit et du corps et la
manière d’en
faire trace. Un moyen de fixer ces moments suspendus, et
retenir
l’impalpable.
J’ai commencé à photographier au
téléphone portable des proches, des amis, dans
ces états de l’être
pour commencer à former un corpus d’images.
Ce projet est
inspiré de la forme du suaire, qui à l’origine (sudarium en
latin) est
un simple petit morceau de tissu qui servait à essuyer la
sueur du front et du
visage, et du Saint-Suaire, preuve de
l’existence du Christ aux yeux des croyants,
trace de son corps
divin, imprimé miraculeusement par la simple application de
la
toile, figédans le temps.
Peut-être que de nos corps
songeurs, se dégage cette part ineffable?
Processus
/ transfert à l’eau / anamnèse
Les
images de songeurs prises au téléphone portable ont été agrandies
et imprimées
sur des feuilles de papier canson pour atteindre quasiment l’échelle humaine.
Puis les encres colorées du papier ont été transférées sur
des draps de coton
blanc, par contact à l’aide d’eau de rose.
Sur
les draps, selon la quantité d’eau de rose, et la finesse de la
trame du tissu, les
nébuleuses colorées sont apparues comme des paysages de l’âme,
des réminiscences
vagues et variables de ces états d’endormissement.
Parfum
floral / l’eau de rose
L’utilisation
de cette eau florale est inspirée de croyances qui racontent que du corps
de certains grands et grandes mystiques canonisés, se dégageait un parfum
floral, mais aussi de croyances et de pratiques rituelles et
médicinales durant
l’Antiquité et le Moyen-âge, toutes liées à la notion de
suavité dégagée par
le surnaturel.
Mise
en espace / action rituelle
Le
choix d’une installation légère dans la coursive déservant les
cellules des soeurs
et donnant sur le cloître a été privilégiée pour faire
entrer la matérialité des
suaires définie comme linge en écho avec l’espace domestique. Les
gestes de suspendre, de draper, de nouer le fil de coton violet pour
constituer les
bouquets, et enfin l’offrande florale qui cl ture la séquence,
ont permis de rythmer
la mise en espace à la manière d’une action rituelle. Le
parfum d’eau de rose résiduel qui flotte dans l’air, le fil de
coton violet noué, le don
de fleurs créent un ensemble de sensations et de cognitions autour
des suaires
qui ont pour but de créer une charge émotionnelle.